RAPPORT D'ENQUÊTE DU GRAND SEMINAIRE DE NKOLBISON  PAR MONSEIGNEUR JEAN ZOA ARCHEVÊQUE DE YAOUNDÉ PARU DANS “RENCONTRE“ Bulletin du grand séminaire de Nkolbisson (CAMEROUN) N°59 de Mars 1985.


Titre : FOI CHRÉTIENNE ET SORCELLERIE.



“PERE SOFFO”


“LA SORCELLERIE N'A D'EMPRISE QUE SUR CEUX QUI NE CROIENT PAS EN DIEU“
De puis quelques années, les habitants du quartier de la carrière à Yaoundé vivent un phénomène hors du commun qui a fini par drainer bon nombre de gens de tous les coins de la ville et même de ses environs. Un homme, surnommé “PERE SOFFO“ bénit de l'eau qui, au dire des gens, procure la guérison de tous les maux quelle qu'en soit l'origine. Dans le cadre de notre enquête sur la lutte contre la sorcellerie, nous avons assisté à quelques unes de ces séances de bénédiction d'eau et nous nous sommes entretenus avec cet homme pour le connaître et avoir des éclaircissements sur son activité de guérison.
Nous ne pouvons vous en donner ici qu'un bref compte rendu, mais nous veillerons à être le plus précis possible, de sorte que vous puissiez vous aussi porter une appréciation sur les activités et les convictions du “PERE SOFFO“. Déjà nous vous remercions de mettre notre journal au courant de vos réflexions à ce sujet. 


Les séances du “ PERE SOFFO“ : elles se tiennent de Lundi à Jeudi et les participants sont divisés en groupes (hommes, femmes, femmes enceintes, etc...) chaque groupe ayant son jour. La séance commence à 14 heures et se déroule en cinq phases : les chants, les conseils à base de textes évangéliques et la prière, la bénédiction de l'eau, la remise des talismans et objets magiques, les témoignages de guérison.


La première phase est introductoire et consiste en l'exécution des cantiques de louanges et de supplication sur l'intonation du “ PERE SOFFO“ qui préside la cérémonie. Cette phase peut durer une demi heure.
Quand commence la seconde, la foule peut être estimée à près de700 âmes ; c'est la phases des conseils. S'armant d'une crois et se dressant sur une pierre devant un micro (on a besoin de haut-parleur pour atteindre tout le monde), le “ PERE SOFFO“ commence un long prêche à partir des grands thèmes du temps liturgique en cours dans l'église catholique. Homme de son milieu, il évoque diverses pratiques répandues, soulève divers problèmes qui se posent aux hommes dans les divers milieux de vie : milieu urbain, villages, différentes ethnies, etc... il critique des pratiques et propose des solutions aux problèmes au fur et à mesure qu'il les évoque, à partir des épisodes fréquent à la bible fait penser plutôt au genre sermon ai bien qu'on se demande si on ne se trouve pas dans une église, à la messe dominicale. Il est à noter cependant que les interprétations données aux textes évangéliques sont essentiellement fondamentalistes, cela se comprend bien d'un homme qui n'a eu aucune formation biblique. Ce prêche s'achève par l'exhortation à une prière confiante en Dieu en toute circonstance et devant toute épreuve. Suit immédiatement un temps de prière. Chapelet et chants de supplication.


Vers 16 heures 30 minutes commence la troisième phase, celle tant attendue, celle de la bénédiction de l'eau que chacun des participants à pris soin d'apporter dans une bouteille ou un bidon ; eau de source de préférence. La bénédiction est simple : sur l'invitation du président de séance, les participants lèvent leurs bouteilles ou bidons d'eau, pendant qu'un cantique d'invocation est entonné, invocation de Dieu, des saints, puis de la trinité père, fils et esprit, la croix tendue en direction de la foule. Puis chacun est invité à boire son eau et s'en servir pour toucher l'endroit malade ; c'est cela le traitement que “ PERE SOFFO“ donne à tous les malades. Absorption et frottement de l'endroit malade avec le “Bonheur“ (c'est ainsi qu'on appelle l'eau bénie par Dieu à travers le “ PERE SOFFO“.La quatrième phase est celle de la remise des talismans et objets magiques : amulettes et fétiches de protection, porte-bonheur de tout genre ; ceux qui les remettent manifestent leur résolution de n'avoir confiance qu'en Dieu. Il y a aussi des objets maléfiques reçus des sorciers et marabouts pour nuire soit un débiteur insolvable soit à un ennemi de qui on veut se venger ; en les remettant, on promet de pardonner aux ennemis et de tout confier à Dieu qui juge. Enfin, il s'agit de ceux qui, se sentant mal, ont peur d'avoir été empoisonnés, envoûtés ou ensorcelés ; alors l' “ PERE SOFFO“ les rassure en attirant leur attention sur la maladie psychologique qui est pire que la maladie physique, puis les exhorte à se fier entièrement à Dieu qui seul sauve de tout mal. Tous les fétiches, amulettes, porte-bonheur, objets maléfiques qui ont été remis sont détachés et le contenu présenté au public de même qu'on dit la somme versée au sorcier ou marabout pour les avoir. Le tout est ensuite réduit en cendre.

La dernière phase est celle des témoignages : les anciens malades, ceux qui ont retrouvé la santé grâce au “Bonheur“ se présentent et sont applaudis par la foule de même que les malades en voie de guérison. Le “ père SOFFO“ les exhorte tous à la prière et à la confiance totale en Dieu.Qui est le “ père SOFFO“ ?“SOFFO“ (ami du chef c'est-à-dire de Dieu le vrai chef), de son vrai nom WAMBO JEAN-ERNEST, est originaire de la province de l'ouest, Né vers 1946, il évolue d'abord dans un milieu protestant où il est baptisé. Mais ayant rejoint ses parents qui sont chrétiens catholiques, il se convertit et est reçu à la paroisse de la Briqueterie (Yaoundé). En 1967 et initié. C'est là aussi qu'il se mariera en 1971.

En ce moment, il mène sa vie chrétienne dans la communauté paroissiale de Tsinga (Yaoundé). Chrétien pratiquant donc, Mr WAMBO est aussi bon citoyen ; il n'hésite pas à présenter ses impôts et sa carte d'adhérent au parti politique du pays.Mr est entièrement au service des malades, ne prenant lui-même de repos que pour laisser ses malades vaquer à leurs activités religieuses : le vendredi pour les musulmans et le samedi et dimanche pour les chrétiens. Cette préoccupation pour les malades vient d'une mission qu'il aurait reçu de Dieu, en effet, Mr WAMBO se reconnaît comme envoyé de Dieu, un inspiré, un prophète, avec mission de guérir et de susciter la foi. C'est donc dans l'ordre de cette mission qu'il exhorte les chrétiens à participer pleinement à la vie de l'église, le chemin de l'église, quel que soit le problème ou la déception rencontré ; on ne renie pas sa famille parce qu'on y rencontre de la difficulté avec les autres. C'est dans le même ordre qu'il ne demande aucun salaire et n'accepte aucune récompense de ceux qui viennent à lui ; il les invite plutôt à faire des dons aux pauvres et à l'église.Mr. WAMBO n'attend pas d'être reconnu par l'Église ou être présenté par les prêtres comme un modèle de chrétien ou de laïc engagé car cela risque de créer des ambiguïtés et susciter de faux inspirés raient les chrétiens au nom de l'Église. Ce qu'il attend des prêtres c'est d'être de fidèles transmetteurs de la parole authentique de Dieu, de sorte qu'en les entendant, la foi des chrétiens s'éveille et mûrisse.

Le danger contre lequel il voudrait mettre les prêtres en garde est celui de croire qu'ils détiennent le monopole des charismes du Saint Esprit ; Dieu choisit qu'il veut et lui accorde le don qu'il veut. Les prêtres sont chargés d'évangéliser, mais pas nécessairement de guérir. Tous les envoyés de Dieu doivent tout simplement faire front commun pour bien servir Dieu et son peuple.Mr WAMBO reconnaît que son pouvoir de guérison lui vient de Dieu qui l'a choisi et entretenu dès le sein de sa mère et pendant son enfance, en lui inspirant de bonnes œuvres ; ne reconnaît-on pas l'arbre) son fruit ? si donc les actes qu'il pose sont bons c'est que l'esprit qui les lui inspire est bon lui aussi. Mr. WAMBO est à Yaoundé depuis 24 ans, et il était grand commerçant. Sa mission actuelle a commencé il y a 10 ans. La chose commence quand, lors d'une maladie il sombre dans le coma pendant 3 jours.

C'est dans ce coma que Dieu, en présence des saints, lui définit sa mission. Dès sa guérison, il n'hésite pas, avec l'accord de sa femme à qui il avait tout expliqué, à vendre tous ses biens et à en donner le produit aux pauvres de Yaoundé (de la Briqueterie au Centre de la ville). Dès lors il se met tout entier au service des malades qu Dieu lui envoie.Ayant été élu par Dieu, il n'a aucun souci de former des gens pour répandre son œuvre ou le continuer après lui. Dieu pourvoira, et c'est ce qu'il a fait en suscitant un autre prophète à Douala (Bepanda) et avec qui Mr. WAMBO est en étroite collaboration (voir à ce sujet l'hebdomadaire « Le canard libéré no 23 du mois d'octobre 1982, article « Les miracles de Bepanda » en pages 2 et 3)Tous les malades qui vont à Mr ; WAMBO ne guérissent pas automatiquement, car il s'agit d'abord du résultat d'un acte de foi totale en Dieu qui guérit. Mais il y a aussi des malades qui, malgré l'acte de foi, ne guérissent pas ; il peut alors s'agir d'une punition de Dieu qui accordera la guérison quand il voudra. Les guérisons restent pourtant des sources de foi pour beaucoup d'incrédules.

Face à la sorcellerieMr. WAMBO distingue deux genres d'ensorcellement : le premier relève de la peur, peur devant un être ou un phénomène naturel non habituel. Les africains sont tellement habitués à entendre parler de manipulation des êtres et des éléments du cosmos en vue du mal, qu'ils vivent presque sur le qui-vive, dans l'inquiétude. Aussi sont-ils profondément ébranlés lorsqu'ils se trouvent dans certaines situations qui leur semblent relever du mystère, ils se sentent traqués, menacés par quelqu'un, et du même coup la santé physique peut s'en trouver affectée ; on parlera alors d'ensorcellement alors qu'en fait il ne s'agit que d'un mal psychologique. Dans ce cas, tout homme peut être sorcier parce que tout homme exerce une influence sur un autre de caractère plus faible.Le second genre d'ensorcellement est une véritable action des forces occultes sur un homme ; il s'agit de la force du diable, agissant dans le monde en vue de perdre l'homme, de lui faire du mal, de l'aliéner, se le soumettre.

Aussi pour se faire, il s'incarne dans des personnes. Mais cette action du diable n'a d'emprise que sur ceux qui ne croient pas en Dieu ou dont la foi est inconstante et chancelante ; en effet, Dieu n'est-il pas plus fort que le diable Le meilleur remède contre la sorcellerie s'avère donc être la foi-confiance en Dieu en Dieu, en Jésus-Christ, et la prière. Si le diable est à l'œuvre dans le monde, l'esprit de Dieu y est aussi en vue de protéger et sauver des forces du mal les fils de Dieu qui demandent son secours sans duplicité.Les prêtres de la vieille génération, en refusant de parler de la sorcellerie parce qu'ils en niaient l'existence et ignoraient son emprise sur les masses, ont poussé le peuple qui en souffrait à chercher des solutions ailleurs, car il s'agit d'un problème vital ; ainsi ont été suscitées et entretenues de nombreuses vocations d'anti-sorciers, de marabouts et « mani sie », tous de suppôt du diable, escrocs et maîtres chanteurs.

En effet, affirme le « Père SOFFO », les sorciers forment une confrérie organisée, les uns provoquant le mal ou la peur en un sujet, et les autres guérissant du mal ou rassurant les sujet, au prix d'une forte récompense qui revient au groupe ou mieux à la confrérie ; l'action de l'anti-sorcier consiste donc à soustraire l'ensorcelé de l'emprise de ses confrères, le mettant sous son couvert, en le faisant un de ses protégés ; les attaques sorcières sont ainsi suspendues, mais on n'est pas délivré des sorciers, la liberté première n'est pas retrouvée puisque la protection dont on jouit à l'ombre de l'anti-sorciers demande qu'on remplisse des conditions, qu'on suive certaine règles et respecte un certain nombre d'interdits.

A la différence des charlatans, c'est comme cela qu'agissent les anti-sorciers ; ils aliènent l'homme, le possèdent. Le « Mani Sie » est un genre spécial d'anti-sorcier. Ces femmes sont très rependues en pays Bamiléké où elles sont vénérées comme des envoyées de Dieu, parce qu'elles dénoncent les sorciers, proposent des soins aux malades et délivrent des esprits mauvais. Quelle n'a donc pas été notre surprise en entendant le « Père SOFFO » qui est originaire de cette région de l'ouest et donc est supposé connaître l'avis ; général et traditionnel à ce sujet, parler des « mani sie » avec dédain et horreur.

En effet, dit-il, ces femmes incarnent le diable dans son jour le plus dangereux qu'est la ruse ; sous le couvert des œuvres bonnes, ces femmes divisent les familles en prétendant dénoncer les sorciers, elles proposent des objets pour se protéger et conseillent la pratique des sacrifices aux idoles, elles passent les enfants à des épreuves redoutable qui les traumatisent toute leur vie durant, disant que ces enfants sont des sorciers, avec autant de maux à leur charge, comment prétendre qu'elles viennent de Dieu et le servent ?Dieu ne divise pas, il conseille le pardon qui est la base de toute entente ; il n'y a pas d'objets de protection autre que Dieu lui-même, pour celui qui vient de Dieu ; de même il n'y a pas d'autre sacrifice que le sien, adressé à lui-même ; et quoi de plus abominable que le martyre des enfants, ces enfants que les forces du mal ou mieux le démon peut manipuler, mais qui en eux-mêmes sont candides et qu'il suffit de confier à Dieu, au lieu de les malmener sous prétexte qu'on voudrait enlever leur pouvoir de sorcier !Que retenir de notre rencontre avec le “père SOFFO“, de son vrai nom WAMBO JEAN-ERNEST ?

D'abord et surtout sa conviction qu'avec Dieu et Dieu seul, l'on peut venir à bout de toutes les preuves et toutes les forces du mal en présence dans le monde. Dieu utilise à ces fins des intermédiaires extraordinaires ou des moyens normaux que peuvent être les médecins, les médicaments, etc... pourvu que tout cela soit utilisé en référence à lui seul maître ; c'est cela la preuve de la foi-confiance sur laquelle notre homme revient toujours avec insistance quand il parle à la foule qui est suspendue à ses lèvres. Il en ressort en fin de compte que ce n'est ni lui, ni l'eau qu'il bénit qui soigne, mais le degrés de foi de chacun ; vu la rapidité avec laquelle la bénédiction d'eau est faite, il nous semble que c'est à tord qu'on parle de séance de bénédiction d'eau : on parlerait de séance de catéchisation et de prière pour mieux traduire et signifier la chose. L'ennemi redoutable c'est le diable, surtout dans ses formes détournées ou il agit en empruntant le nom de Dieu et en présentant des façades de bienveillance, ce qui ne manque pas de fourvoyer beaucoup d'hommes. Aussi Mr WAMBO juge important de passer aux cribles d'une vérification minutieuse tous ceux qui se disent envoyer par Dieu ou prétendant agir en son nom ; leur parole et leur comportement finissent toujours par préciser leur identité réelle envoyant à Dieu par le bien qui les accompagne ou au diable qui ne veut que détruire, diviser, détourner de Dieu. Pour aider les hommes dans l'acquisition et la maturation de leur foi, il faut des messagers fidèles et dévoués au service de Dieu et de son peuple ; Mr WAMBO se réclame de ceux-là et exhorte les prêtres et les séminaristes à en faire autant Rapport de BAYALOULA A. M.Et KENTIA B.